L'ECOLE DE DEMAIN
STRASBOURG, UN COCON DANS LE BÉTON
29 avril 2014 Par Raphaëlle Saint-Pierre
Sans chercher à forcer sa nature ni sa structure, l’architecte Dominique Coulon a transfiguré l’austère groupe scolaire Saint-Jean de Strasbourg. Il est parvenu à rompre la monotone régularité de cet imposant édifice des sixties, en lui offrant, au-delà de la rénovation thermique, un visage plus animé, une richesse spatiale et une ouverture sur la ville.
Avec ses 800 élèves de maternelle et d’élémentaire, Saint-Jean est le plus important groupe scolaire de Strasbourg. Réalisé dans les années 1960, il souffrait dans son quartier d’une image négative de grande barre un peu dure. Ses défauts : une homogénéité spatiale sans aucune différenciation programmatique et des classes rapidement en surchauffe. Ses qualités : de belles et larges circulations et une structure en béton poteaux-dalles qui a rendu la restructuration aisée. Les options prises par Dominique Coulon et son équipe devraient diviser par quatre la consommation énergétique de l’école.
Pixels
Une fois les froides façades carrelées démolies, une isolation par l’extérieur en laine de bois puis un nouveau revêtement en verre émaillé sont installés. Des lames verticales placées le long des fenêtres interceptent les rayons obliques du soleil. Alternativement plaquées d’acier corten, d’inox miroir et de laiton verni, elles participent à la composition de façades irisées, qui scintillent et varient selon la lumière. « Je voulais obtenir un effet graphique arythmique, une sorte de pixellisation », explique l’architecte strasbourgeois. Des stores screen, dont le tissu perforé laisse voir l’extérieur, complètent le dispositif. Un système de gestion technique centralisée*, relié à une cellule fixée sur le toit, commande la position de ces occultations en fonction de l’ensoleillement et de l’orientation de chaque pièce, préalablement enregistrée en trois dimensions. Sur la toiture végétalisée, trois hauts jours, habillés de capteurs photovoltaïques sur leur partie inclinée au sud, prennent leur lumière au nord pour éclairer les circulations centrales. Pour la vertu pédagogique, un tableau fixé dans le hall indique les kilowatts gagnés.
Organique
« Au-delà de la performance énergétique, l’esprit du projet était de faire un bâtiment ergonomique pour les enfants », poursuit Dominique Coulon. Il descend donc les allèges des fenêtres des classes à la hauteur des tables des différentes sections, afin d'offrir aux élèves une vision sur l’extérieur. Pour atténuer l’aspect trop rectiligne des couloirs, il ménage également des percées sur des événements, comme une terrasse accessible ou une vue plongeante sur la bibliothèque. Alors que les étages des salles de classe sont très orthogonaux, le plan libre du rez-de-chaussée permet à l’architecte de s’affranchir de ce quadrillage et de slalomer entre les poteaux ronds. Pour l’élaboration de ce niveau, le concepteur fait appel au neuroscientifique Claude Bonnet, professeur honoraire à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’université Louis Pasteur de Strasbourg. Ce dernier insiste sur l’importance des repères spatio-temporels qui aident les petits à percevoir les rythmes de la journée. « Les enfants en bas âge sont très à l’aise dans des espaces avec une certaine complexité. Ils n’ont pas besoin d’être cadrés dans un système orthonormé », raconte l’architecte. Il s’appuie donc sur le tracé de la courbe amorcée par l’escalier du hall pour en concevoir d’autres, et construire des formes organiques apaisantes, depuis l’entrée en passant par les préaux et jusque dans le dessin de la cour. La bibliothèque de la maternelle, « qui, en coupe, ressemble à la maison de Barbapapa », présente ainsi un sol creusé dans lequel les enfants se lovent comme dans un nid.
Signal urbain
Dominique Coulon se sert de la couleur comme d’un instrument. Il opte d’abord pour un code simple par étage : du bas vers le haut, jaune, orange puis rouge. Ensuite, il dynamise l’espace banal des longues circulations grâce à des aplats colorés qui s’élancent à l’oblique, traversent le plafond et se rabattent sur une autre paroi. En revanche, dans les zones courbes, déjà pleines de nuances, il mise sur la sobriété du blanc. Pour transformer l’école en signal urbain positif, l’architecte évide une partie de la façade sur rue et la rehausse avec de l’orange. Il élargit cette ouverture sur la ville en perçant des baies vitrées aux extrémités des couloirs, dévoilant ainsi les cœurs d’îlots. Cette rénovation lourde a coûté 1 225 euros hors taxes par mètre carré, soit environ deux fois moins cher qu’une démolition/reconstruction, pour un bâtiment aussi performant et confortable qu’un neuf. Un des gains majeurs concerne l’énergie grise qui aurait été nécessaire pour la destruction complète de l’existant et la production d’une quantité beaucoup plus importante de matériaux. « C’est une bonne démonstration qu’il ne faut pas tout casser, constate Dominique Coulon. Un lieu bien conçu à l’origine peut être restructuré et réinvesti cinquante ans plus tard. »
FICHE TECHNIQUE
Lieu : rue des Bonnes Gens et rue de Bouxwiller, Strasbourg (Alsace).
Programme : restructuration et mise en sécurité d’un groupe scolaire comprenant 10 classes de maternelle, 18 de primaire, une école de musique d’une classe, un accueil périscolaire, un restaurant et un gymnase.
Maîtrise d’ouvrage : Ville de Strasbourg.
Photos : Dominique Coulon et Associés
Architectes : Dominique Coulon et associés ; Dominique Coulon (architecte) ; Benjamin Rocchi (responsable du projet) ; Sarah Brebbia, Olivier Nicollas, Delphine George et Guillaume Wittmann (assistants).
Bureaux d’études : Batiserf (structure), G. Jost (fluides), E3 Économie (économiste), François Liermann (hqe), Ingemansson France (acousticien), Bruno Kubler (paysagiste).
Surfaces : 8 731 m2 shon, 7 250 m2 shab.
Calendrier : études septembre 2009 à novembre 2010, chantier février 2011 à août 2013.
Coût total : 10,7 millions d’euros ht, soit 1 225 euros/m2.
Système constructif et matériaux : structure poteaux-dalles en béton armé, voiles courbes en parpaings Varibloc, menuiseries extérieures en pin lamellé-collé abouté, revêtement de façade en verre émaillé, brise-soleil en lamellé-collé habillés d’une tôle (laiton verni, inox miroir, acier corten).
Mesures environnementales : isolation thermique de l’école en panneaux de laine de bois semi-rigide (15 cm) ; isolation thermique des murs maçonnés du gymnase par l’extérieur en ouate de cellulose insufflée (34 cm) et panneaux de fibre de bois (6 cm) avec enduit minéral blanc ; toiture végétalisée ; capteurs photovoltaïques (90 m2).
Installations techniques : ventilation double-flux à récupérateur de chaleur, utilisation du sous-sol existant comme « cave thermique », gtc (contrôle des stores et de l’éclairage).
Performance énergétique : 71 kWhep/m2 shon.an (simulation thermodynamique avec les logiciels Pleiades + Comfie) ; valeur de perméabilité à l’air de l’enveloppe 0,96 m3/(h.m2).