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Groupe Scolaire Saint-Jean à Strasbourg

Le Groupe Scolaire Saint-Jean à Strasbourg
Dominique Coulon & Associés
in
archiSTORM #66
mai/juin 2014

Texte © Guillaume Richaud

La première réaction provoquée par la lecture des plans et diagrammes morphogénétiques de ce projet de groupe scolaire strasbourgeois est peut-être celle qui consiste à rehausser l’arcade sourcilière : il y a en effet dans la rencontre soudaine d’une trame rigide et répétitive avec des rondeurs éparpillées dans le hall quelque-chose de l’ordre d’une pagaille improbable et salutaire, métaphore architecturale parfaite du groupe d’enfants naturellement surexcités laissant derrière eux un joli bazar.

Que voit-on ?

D’abord une construction en L articulée autour d’une cour. Un bâtiment d’origine « dur et monotone » selon l’agence, mais sans doute aussi fort bien construit : on garde la quasi-totalité de la superstructure et des espaces mais on démolit les façades, sans oublier de taillader une belle dent creuse sur le toit. Le bâtiment principal, puisqu’il repose sur une série de poteaux, permet à Dominique Coulon et son équipe de laisser libre cours à l’imagination en allant bien au-delà du cartésianisme d’origine, afin de produire des espaces communs ludiques, acidulés et tout en rondeurs. Aller à la bibliothèque devient ainsi un moment privilégié dans la journée des écoliers, et marque une rupture franche avec la monotonie des salles de classes.

La dynamique d’ensemble créée repose d’ailleurs beaucoup sur le rapport que ces nouvelles formes entretiennent avec l’existant et l’extérieur : côté rue le binôme bibliothèque + salle de jeux qui s’affranchit nettement des limites du parvis (Coulon invente le béton-nougatine avec ce mur courbe moucheté d’oculi facettés et figés dans la masse). Côté cour et dans le prolongement direct des volumes du rez-de-chaussée, ces volutes qui dessinent la cour de récré. Il y a même un quelque-chose de Steven Holl dans la bibliothèque du rez-de-chaussée qui sans prévenir déborde à l’étage dans un bref mais intense moment de gloire. On imagine volontiers la curiosité attisée par les petits lanterneaux du 1er, et ces élèves qui vont immanquablement se demander ce qui peut bien se passer sous leurs pieds (les plus grands s’émerveilleront sur la mise en œuvre du faux plafond, dans cette totale dissolution des parois verticales et horizontales, ce jusque dans les bouches d’aération, parfaitement intégrées dans la paroi). Enfin, là où l'on ne remodèle pas le bâti, on travaille par petites touches : on ouvre les circulations sur l’extérieur et on repeint les couloirs façon Flash Gordon, en s’étonnant comment un coup de pinceau bien senti peut parfois suffire à faire toute la différence. De l’extérieur, en s’approchant depuis la rue du Chevreuil par exemple, on aurait du mal à croire que le bâtiment existe depuis 50 ans. Que reste-t-il de l’édifice d’origine ? Sa lecture en est peu à peu brouillée, et c’est tant mieux : quand le programme le permet, il est toujours plus intéressant de superposer plusieurs couches, plusieurs formes, plusieurs pensées dans la production d’un objet hétéroclite, plutôt que de systématiquement vouloir partir de zéro.

L’enfance laisse des traces. Dans la lignée des choses que l’on se coltine bon gré mal gré toute une vie, l’expérience de la petite enfance arrive sans doute en bonne tête. Ici, en diversifiant les espaces, les couleurs, les sensations, les temps et les rythmes architecturaux, on en vient presque à se demander si cette école n’en devient pas elle-même un outil pédagogique. Ce qui est certain, c’est que tous ces enfants se souviendront longtemps de leurs années de maternelle… Guillaume Richaud

Citation d’Alberto Campo Baeza, architecte :

“Comme s’il s’agissait d’un expert en chirurgie, Dominique Coulon a coupé, cousu, enlevé et rajouté là où il fallait et ceci, avec une précision extrême. Il a agrandi des fenêtres qu’il encadre comme des grands yeux, en créant de nouvelles perspectives qui les mettent en valeur. Il a baissé les rebords de toutes les fenêtres des salles de classe de façon à ce que les enfants puissent voir ce qui se passe à l’extérieur. (…) J’insiste sur le fait que tel un chirurgien, il a percé et piqué dans le vieux corps pour aboutir à un nouveau corps qui a repris une nouvelle vie.”

Alberto Campo Baeza