d'architectures
n°175
Septembre 2008
Editeur : Innovapresse
ISSN : 1145-0835
d'a n°175 - SEPTEMBRE 2008 article sur le conservatoire de musique et la salle festive de Maizières-les-Metz, par Richard Scoffier
A Maizières-les-Metz, une commune de 12 000 habitants, le « Tram » réunit un conservatoire de musique, un petit auditorium, une salle festive de 600 places, un accueil périscolaire et un espace Jeunes. Sans hésiter à forcer le trait, Dominique Coulon exalte l’audace de cette programmation composite sur le site échoué entre autoroute, supermarché et lotissement néo-urbain.
Dominique Coulon a une manière bien à lui, unique sur la scène architecturale française, de mettre ses bâtiments en récit. Par des jeux d’associations libres, il mêle le terne au coloré, le grand au petit, le réel à l’illusion, sans jamais perdre le fil de l’unité ni de l’utilité. Appliquée à cet équipement mixte à vocation culturelle et sociale, cette mise en récit résonne comme un encouragement joyeux au brassage espéré entre les usagers, et affiche des affinités évidentes avec la dimension culturelle du programme. Mais ne tient-il pas à l’architecture de rendre tout bâtiment « culturel » ? quel que soit le programme, Dominique Coulon assigne à l’espace le devoir de déstabiliser des certitudes. Dès lors, s’agissant comme ici de culture, sa démarche se différencie essentiellement par l’exacerbation du même attachement à interroger le réel. Pour d’autres architectes, construire pour la culture est l’occasion de remettre en cause les représentations et les pratiques culturelles à partir des questions d’échelle, de forme et de rapport à la ville. Lui concentre son tir sur le croisement des significations, de façon plus soutenue que dans ses projets antérieurs, par un jeu constant d’angles de vue, de temporalités et d’échelles. Il entraîne ainsi le visiteur vers un imaginaire étrange, propre à susciter un cheminement individuel inattendu. La volumétrie extérieure du Tram autant que son atmosphère intérieure sont significatives de cette façon de concevoir l’espace. Faisant alliance avec la déclivité du sol, les volumes ne se réfèrent métaphoriquement à une émergence géologique, fracture du relief projetant des masses à la limite de l’équilibre dans le vide sidéral de la place. Cette fiction géologique est productrice en soi d’éléments narratifs variés (masses ancrées et soulevées, lignes droites et biaises, contraste du lisse et du rugueux). Très vite pourtant, une autre évocation se superpose à ce registre de références, par l’intermédiaire de la plaque qui révèle en proue le plan rectangulaire de l’édifice. Changement d’univers, l’architecture nous rappelle soudain l’étrange pouvoir d’attraction de sculptures minimalistes de Donald Judd ou de Carl André et leur capacité à exprimer des énergies contenues. La transition entre la métaphore géologique et l’artefact s’opère sans rupture perceptible, par une juxtaposition faisant fi des articulations architecturales classiques. La puissance des formes et le brutalisme du béton servent de relais entre ces deux univers. Ce qui intéresse ici n’est donc pas tant l’effet global que dégage le bâtiment qui l’enchaînement des significations et leurs rebondissements narratifs. Le volume a l’air simple de prime abord, mais l’enroulement du conservatoire sur deux niveaux perturbe les lignes de fuite. L implantation perpendiculaire à la pente permet de distinguer deux échelles : le haut du terrain définit naturellement un gabarit modeste pour le conservatoire et l’accueil périscolaire ; le point bas exalte au contraire la vocation régionale de la salle festive par un porte-à-faux monumental projeté vers la voie principale. Comme dans Alice au pays des merveilles, le passage d’une échelle à l’autre s’opère par un glissement furtif, les histoires se succèdent comme si le saut d’un décor à l’autre, d’une temporalité à la suivante, était naturel. Dès lors, tout devient possible et l’on ne s’étonnera pas de rencontrer dans ce fatras d’imaginaires quelques figures canoniques de l’architecture moderne : ici, un monolithe en lévitation ; là, une cour intériorisée par un voile en béton. De même que les grandes lettres argentées - mi-tags, mi-calligraphie d’enfant - qui tapissent sol et murs brouillent la dissociation des plans, les percements de forme patatoïde déréalisent le volume et distordent à leur tour les repères d’échelle. Le fil conducteur de l’histoire, un béton brut ordinaire aux défauts affichés, donne à l’ensemble un aspect libertaire, « non fini » au sens tr ès à-propos de L’œuvre ouverte d’Umberto Eco, laissant chacun libre de ses interprétations. A l’intérieur du bâtiment, on entre d’autant mieux dans la fiction que l’introversion des espaces est forte (elle protège également des bruits de l’autoroute) et que la compression des programmes dans un rectangle de 100 x 40 mètres est l’occasion de densifier les suggestion sensorielles. L’artère centrale de circulation soude la société des pièces entre elles par l’inflexion des parois qui dilatent puis rétrécissent l’espace (Alice toujours). Elle longe d’abord deux patios sur sa droite, l’un en équerre installant de façon inattendue l’accueil périscolaire comme une maison dans un jardin, au beau milieu du bâtiment. Puis elle pénètre dans le hall-bar qui s’épanche à gauche vers la cour d’accès de la salle festive revêtue de peinture phosphorescente. Ce court trajet contient tous les possibles : l’imbrication des pleins et de vides, le reflet des vitres et les contrastes chromatiques diffractent l’espace jusqu’au vertige. A cette saturation des sensations visuelles s’ajoutent encore les diagonales de couleur zébrant sol et murs et les faux plafonds triangulaires multipliant les points de fuite comme un kaléidoscope. Chaque programme joue ensuite sur son propre registre de matières et des formes : arrondis psyché-pop découpés dans les parois en bois KLH de la grande salle, surfaces dorées dans les alvéoles du plafond, tendres rideaux de fils sur les parois de l’auditorium, béton brut et résine brillante sur les murs du conservatoire. Dominique Coulon prend le risque de forcer le trait jusqu’au malaise. En osant cette étrangeté qui déjoue les lectures univoques de son bâtiment, il se prémunit aussi de tout appartenance à une famille architecturale, de tout embaumement précoce par le milieu de la Culture avide d’objets cultes et d’acteurs étiquetés. Il offre un bâtiment déconcertant qui n’épuisera pas sitôt les interprétations.