ACTUALITE DE LA SCENOGRAPHIE n°164 – AVRIL 2009
Date de parution : 01/04/2009
Nb. de pages : 72
Éditeur : AS Éditions
Format (LxH) : 210x297
Collection : Revue AS
Prix : 15€
ISSN : 0986-1351
article sur le Centre Dramatique National de Montreuil, par Mahtab Mazlouman
Les lieux scéniques depuis 2006
Première approche : architectes & scénographes
Dans l'article Un outil d'analyse et de communication de AS n°162, Michel Gladyrewsky et Philippe Warrand annonçaient une nouvelle méthode d'approche et d'analyse des lieux de représentations ouverts depuis 2006. Cette méthode se base sur une transversalité dans l'approche de l'ensemble de ces lieux scéniques et se construit à travers la confrontation des différents points de vue, d'axe, de typologie, d'acteurs.
Nous proposons d'aborder cette approche dans un premier temps à travers cinq lieux : le Nouveau Théâtre de Montreuil, le Quai à Angers, le Scarabée à Roanne, le Théâtre André Malraux a Rueil-Malmaison, la Piscine à Chatenay-Malabry. Nous analyserons ces cinq lieux sur trois numéros à travers trois sujets différents. Tel un puzzle, nous constituons les données nécessaires à la compréhension des lieux non pas uniquement par une visite et analyse du bâtiment, mais par la mise en relation des sujets qui créent débat.
La première approche de ces lieux s'effectue par la maîtrise d'œuvre : la rencontre architectes & scénographes.
Le deuxième volet (AS n°165) sera consacré à l'utilisateur du lieu, en l'occurrence la rencontre scénographes & directeurs techniques.
Le troisième (AS n°166) analysera les spécificités techniques de chacun die ces lieux.
A travers ces analyses, nous engageons, ainsi des débats plus larges sur la commande, la création et I'utilisation. Au sein même de la création, nous interrogeons ainsi la relation entre la scénographie et l'archiltecture.
Découvrir le lieu à travers des discussions avec l'architecte et le scénographe met en évidence la démarche de création et met en exergue le concept. Nous comprenons ainsi le cheminement de la naissance, d'un projet jusqu'à son ouverture.
Les rencontres sont multiples, il existe autant de relations architectes/scénographes que de lieux construits. Les méthodes de collaboration sont pareilles et différentes ! Le degré d'application et la place accordée à chacun, entre partage ou délimitation des territoires sont totalement différentes d'un lieu à un autre. Ceci nous démonte certaines idées reçues sur des collaborations, mais démontre aussi la complexité de créer ensemble un lieu de création.
Le Nouveau Théâtre de Montreuil
Discussion avec Dominique Coulon – architecte – et Jean-Paul Chabert – scénographe -
Le Nouveau Théâtre de Montreuil a été inauguré en septembre 2008. Mais le théâtre a déjà une longue histoire. Le Centre dramatique national de Montreuil est dirigé depuis juillet 2000 par Gilberte Tsaï avec une équipe artistique très engagée dans la ville et auprès la population. Montreuil est une ville en pleine mutation avec un centre ville en évolution. Dans le cadre de la rénovation du centre ville. le théâtre, a été détruit, mais la construction de la nouvelle salle était inscrite dans le plan urbain dessiné par Atvaro Siza.. Si le théâtre, premier édifice construit apparaît encore aujourd'hui comme isolé, il trouvera sa place une fois le chantier du quartier achevé.
Sa position est stratégique, le bâtiment est à l'articulation de deux places, la place Jean-Jaurès et la place Guernica et a aujourd’hui quatre façades -même si plus tard, un bâtiment devrait arriver proche des loges, et la façade sera vue à t'oblique. La parcelle était très contraignante et le bâtiment utilise toutes les limites du plan urbain défini avec précision par Alvaro Siza. Ce qui donne un bâtiment dense et compact.
Rencontre entre l’architecte le scénographe
« Le projet du Théâtre de Montreuil était à la fois classique et particulier » explique Jean-Paul Chabert: « A la phase concours. J’étais sélectionné dans deux équipes concurrentes. Ce qui a eu pour conséquence de travailler d’une manière particulière en constituant le même volume et un tracé générateur pour les deux projets. La contrainte scénographique a donc été forte et le travail architectural a commencé, après l’étude de la morphologie de la salle » Pour Dominique Coulon: « C'était mon premier théâtre et cela pouvait être tendu. J’étais séduit par le côté pédagogue de J-P. Chabert, sa longue expérience et surtout le fait qu’il soit issu de la scène. Il a su rapidement trouver le dialogue avec les gens du théâtre ». Une collaboration franche s'est engagée avec des luttes et des interrogations. « Le scénographe pensait que j'allais abandonner la salle, il y a eu une lutte de territoire ! », explique D. Coulon. « Il a fallu à chaque fois s'interroger sur les partis pris architecturaux de la salle, de la scène, de la salle de répétition, sans réduire la portée du projet », complète J.-P. Chabert.
Démarrage de l'architecture
La première trouvaille architecturale est venue du pivotement de la salle dans celte parcelle rectangulaire. Ce qui créa un rapport dynamique avec le plan et donna un parcours bien spécifique. Le bâtiment ne s'adresse donc pas de manière classique et symétrique à la place, mais plutôt dans un rapport asymétrique en s'adressant aux deux places. Le pivotement de la salle, qu'on perçoit dès le hall crée un parcours dynamique qui a pour objet de contourner la salle.
« Le pivotement a été une intuition qui venait aussi du plan urbain. Le plan du théâtre est un peu un condensateur du plan urbain, un bâtiment qui capte des énergies. » Une grande réflexion est engagée sur les circulations. « Je travaille sur des rapports de tensions qui disparaissent. Les plans semblent chahutés, je mets du temps, à leur trouver des tensions, des rapports des lignes entre elles, contrôler l’espace. fabriquer de l’espace qui nous emportent. » Résultat, le théâtre est un parcours de surprise vers la salle de théâtre. Dans le hall, on sent la pression de la salle, le plafond oblique, l'escalier qui se développe dans un espace vertical, on passe par des endroits pincés puis l'espace se dilate… Les contrastes sont forts ; d'une part lié à la hauteur, et d'autre part à la largeur des parcours. « Un travail sur le pli, une recherche d'un infini spatial. On n’a jamais le sentiment d’une géométrie dominante », explique D. Coulon. Le choix de la couleur rouge en dégradé relève de la même volonté. Le rouge vif s'assombrit au fil du parcours pour préparer le spectateur à rentrer dans la salle et d'acclimater l'œil au noir de la salle. On retrouve le même travail de dégradé de rouge à l'intérieur de la salle de théâtre.
Le bâtiment paraît opaque de l'extérieur mais à l'intérieur, les ouvertures sont généreuses sur la ville et les vues sont choisies: « Le côté fractal des vues offertes ».
« J'ai voulu garder le côté mystérieux du bâtiment ; d'où le choix qu’il soit fermé vers l'extérieur et qu'on doit le pénétrer pour l'appréhender. On n'a pas une vision immédiate. » Une conception qui rejoint celle de Jean-Paul Chabert qui pense que le théâtre est un monde totalement à part où l'on fabrique son image. L’opacité va avec le théâtre. Le programme La programmation avait été menée par Dominique Borlo de l'agence Scène, qui avait participé au premier concours sur le théâtre dans l'équipe d'Alvaro Siza. L’ensemble des éléments de la salle et de la scène avait été concerté avec I’équipe technique du théâtre. Si D. Borlo s'interroge sur une trop grande définition de la programmation, J.-P. Chabert pense à l'aspect pédagogique du travail : « On en tient compte mais on n’est pas enfermé dans le règlement, cela permet de comprendre la. conception de la salle et les désirs des utilisateurs. C'est quand même le seul lien qu'on a avec les utilisateurs. Et plus on est précis, plus cela permet des propositions qui ne sont pas en contre sens. Au début, le maître d'ouvrage a des théories qu'il a tendance à oublier au cours du projet. Il faut savoir garder le cap. Il faut être visionnaire. Quand on fait un projet il faut imaginer dans cinq ans, puisque les trois premières années, le théâtre fonctionne sur sa nouvelle image et ce n'est qu'après qu'il devient un outil. Il faut convaincre les scénographes de s'interroger à moyen et à long terme. » Concernant la ventilation, l'architecte n'a pas suivi les recommandations du programme. « J’ai fait une proposition et discuté avec l’équipe du théâtre qui a accepté rapidement. On n’a mis un système sur la ventilation. Un GTC détecte la température dehors. On ventile pendant la nuit, on rafraîchit les parois des bâtiments, cette fraîcheur se propage dans la salle. Le béton a une très bonne inertie qui lisse la courbe des températures. Les murs sont épais, le béton blanc réverbère, les murs extérieurs ne sont pas chauffés » La salle de théâtre « Lorsque j’ai été retenu au concours, je n’avais qu’une expérience de spectateur du théâtre. J’ai pris alors le soin d'aller voir des théâtres et de rencontrer les techniciens. J'ai compris que certaines salles étaient appréciées pour leur rapport scène/salle parce que quelque chose de magique s’y opérait, surtout dans la relation entre le spectateur et l'acteur. » D. Coulon travailla sur une salle en contraste avec des parois en béton qui lui procurent une austérité : « Je voulais une salle qui s'efface ». Pour J.-P. Chabert : « J’ai posé les règles claires comme la morphologie de la salle dès le début et cela n’a jamais été transgressé. Il fallait respecter le concept architectural et la pureté de l’architecture de Dominique Coulon, qui était réglée très en amont. D'ailleurs il n’y a pas eu de changement entre l'APS et le projet final. » L’avancement du projet a toujours suivi la même ligne architecturale ; ce qui démontre une réflexion très structurée. D. Coulon exploita le proscenium ainsi que les abat-son comme des éléments architecturaux. Le jour du décoffrage des voiles le théâtre était en ordre de marche ! « L'architecture de Dominique Coulon m’a interrogé sur des a priori que nous scénographes pouvons avoir. On est sorti des chemins battus. Il travaille sur maquette et on pouvait remettre en cause des gestes automatiques de scéno-technique. » La salle est claire, il a fallu vérifier son influence sur les spectacles. Le plafond blanc a nécessité un travail d’éclairage indirect. « On constate aujourd’hui que cela fonctionne.» La salle de répétition est éclairée par la faille avec l'escalier plein Sud. On est loin de la boîte noire dans laquelle en travaille I'éclairage. Les comédiens avaient besoin de lumière naturelle et cette salle est bien vécue. « Le travail acoustique a été à la fois simple et compliqué pour un résultat étonnant de qualité. On n'est pas entré dans la confusion entre auditorium et salle de théâtre », raconte J.-P. Chabert. Les murs en béton présageaient une acoustique difficile. Et le paradoxe du lieu -en respectant quelques fondamentaux au niveau du béton- a fait qu'on entend du fond de la salle. « Ceci a nécessité plusieurs réglages en plan et en coupe. Je voulais qu’on oublie tous les éléments techniques dans la salle et je voulais garder une certaine sobriété. La place d’abord au spectacle sur la scène », précise D. Coulon L’enjeu des passerelles Le programme demandait deux passerelles légères dans la salle. Mais, l'architecte ne voulait pas d'éléments techniques visibles au-dessus des spectateurs. Il proposa alors trois passerelles, mais en béton et à la même altimétrie, afin que le toit devienne abstrait « II fallait réfléchir à les équiper différemment. On a fait des prototypes et on a décidé d’exploiter les lices pour qu'elles soient opérationnelles. Les projecteurs devront être alors réglés sur le garde de corps et pas sur l’altimétrie des passerelles », explique J.-P. Chabert. L’éclairage de la salle, ainsi que les projecteurs, ne sont pas visibles de la salle. « Et cela reste un bon outil de travail puisque les techniciens ont la place de passer à côté des projecteurs sur la passerelle", remarque D.Coulon. La cage de scène La hauteur de la cage de scène était imposée et le niveau de la scène devait être de plain-pied. Comme l'explique l'architecte : « Quand on regarde le théâtre depuis la place Jean-Jaurès, il est assez bas et dialogue avec les échelles des bâtiments autour. La hauteur de la cage de scène ne m’a pas dérangé et je l'ai assumé. La casquette à l'arrière-scène a permis de détacher le volume de la salle de répétition, comme un système de contre-pied. » J.-P. Chabert explique : « Nous avions l'avantage d'avoir une maîtrise d’ouvrage coopérative, une troupe et une équipe technique sur place avec un directeur technique attentif que je connaissais puisqu’on avait déjà travaillé ensemble à l’Odéon. Il y a un fait marquant à Montreuil : il existe une osmose entre l’équipe artistique et technique. Il y a une base de comédiens et techniciens permanents et un intérêt pour ce qui se passe sur le plateau. Le cintrier fait partie intégrante du spectacle et il a un rôle artistique et technique avec des manœuvres de descente d'une simple chaise à celles plus complexes. L'opportunité de mécaniser n'existait pas. On a installé quelques grues, mais uniquement pour lever des éléments, pas pour médiatiser le mouvement. Il faut adapter la technique au lieu, il y a des hommes derrière et il ne faut pas perdre tous les acquis du cintrier. Alors que je suis pour la modernisation, j'ai néanmoins toujours défendu la partie muséale des projets, j’étais pour qu'on rafasse la machinerie baroque à Versailles." Jean-Paul Chabert conclut: « Tout: au long des études, puis sur le chantier, il a fallu un apprivoisement. On a pu avancer sans concession sur les attendus pour un meilleur résultat et on est arrivé à un bon projet. Nos échanges étaient intéressants mais pas condescendants, il fallait la compréhension du métier du spectacle, sans que Dominique Coulon renonce à son architecture. Le couple Chabert/Coulon a plutôt bien fonctionné dans cette envie de créer quelque chose de collectif, la symbiose était présente. »