d'a n°167 – OCTOBRE 2007
Editeur : Innovapresse
ISSN : 1145-0835
article sur l’école maternelle de Marmoutier, par Richard Scoffier
L’école maternelle récemment réalisée par Dominique Coulon à Marmoutier se présente comme un édifice paradoxal,à la fois simple et complexe. Cette construction massive, qui ne comprend que cinq classes et reste prudemment inscrite dans un plan carré de 36 mètres de côté,sait aussi s’affirmer comme une présence animée d’un souffle secret.
Horizontale et furtive, l’école renonce d’emblée à rivaliser avec la sobre façade romane en grès rouge de l’abbatiale, très proche, dont la silhouette domine le village. Tapie dans une dépression de terrain, elle préfère dialoguer avec le paysage alsacien, savamment sculpté et subtilement coupé de hautes lignes d’arbres, dont elle révèle le charme discret. Vastes pans de toiture triangulaires accumulés pêle-mêle sur les solides montants de fenêtres verticales ouvertes de plain-pied sur l’extérieur: dans le mouvement même qui la pousse à se dissimuler, à disparaître, elle concilie plusieurs figures de la contradiction (la stabilité et le déséquilibre, la masse et la transparence…) pour gagner en densité, en attractivité et imposer son propre monde, loin de toute référence.
Le projet semble d’abord avoir été pensé indépendamment de sa destination comme la relation topologique entre deux surfaces distinctes, celle, stratifiée, du sol et celle, triangulée, du toit. Une dalle en béton poli adhère avec sa rampe et ses emmarchements à la légère déclivité du terrain pour se dresser brutalement et fusionner avec les larges triangles en plâtre du plafond, en suivant la verticale du patio qui capte et accumule la chaleur du rayonnement solaire. La toiture et ses multiples noues opèrent le mouvement inverse en creusant dans le sol un bassin de rétention des eaux pluviales. Ainsi, la composition se déploie autour de deux nœuds spatiaux dont le premier est souligné par un ruban irrégulier rouge vif qui scarifie le sol, le mur et le plafond. Ce ruban porte à son paroxysme l’effet de torsion qui plie, comme sous l’effet d’un séisme, la figure abstraite et statique du plan carré originel.
Le programme et son système de cloisonnement orthonormé viennent ensuite s’insérer dans cette première détermination spatiale, tout en préservant l’illusion d’une continuité.
Les murs s’épaississent en placards laissant glisser au-dessus d’eux les plafonds blancs ascendants ou descendant qui détendent ou contractent librement l’espace. Tandis que les salles de classe s’alignent sagement au nord, le préau creuse la façade est, s’adjoint au hall et serpente entre les autres espaces techniques (bibliothèque, salle de repos et bureaux…) pour fusionner en contrebas avec la salle d’activités largement ouverte, au sud, sur la cour de récréation. Ce vaste espace spiral pourrait rappeler celui, formé par l’accueil et le séjour, de la Maison carrée d’Alvar Aalto, lui aussi en étroite osmose avec le paysage, tout en restant solidement maintenu par le creusement du plafond et la stratification du sol.
Des systèmes de lignes dynamiques traversent la composition de part en part et viennent encore se superposer à l’emboîtement de ces deux dispositifs : néons encastrés en plafond ou fils métalliques coupant l’espace comme autant de cordes à linge pour permettre aux enfants d’y faire sécher leurs dessins.
Le mouvement de torsion qui hante la composition semble faire ployer inexorablement certains plafonds triangulaires. Il reste clairement lisible à l’extérieur où la toiture tente d’amorcer une légère rotation autour de la tour du patio.
Cet exercice de style est totalement transfiguré par l’utilisation des matériaux. Les matières exactement choisies font littéralement basculer le projet dans un monde de symboles, de correspondances. Elles convoquent l’imaginaire et appellent les fictions qui accordent à la matrice crue du dessin un magnétisme presque animal. D’abord, inattendue, la clôture en brande, composée de branches de bruyère tressées, exilée de ses landes natales, semble protéger des vents dominants un paysage d’enfants en mouvement… Puis le cuivre bruni de la couverture et des bardages accorde à la composition la pesanteur sculpturale du bronze. L’épais bois sombre transforme les encadrements des fenêtres, très saillants à l’intérieur ou à l’extérieur (en fonction de l’orientation pour pouvoir jouer, à l’est comme à l’ouest, le rôle de brise-soleil) en colonnes entre lesquelles il est possible de s’isoler ou de jouer. Enfin, le sable, qui recouvre le sol d’une couche dense et protectrice où les déplacements des enfants deviennent moins aisés et où ils peuvent se laisser tomber sans se blesser, renvoie à un monde prénatal, presque liquide. Toutes ces matières telluriques traversent les registres du primitif, du pesant et du doux: comme si le bâtiment, sans jamais condescendre à utiliser de formes organiques, constituait un lieu transitionnel, entre le corps maternel et l’espace de l’expérimentation et de la socialisation.